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2018-10-12T06:57:00+02:00

Macron chez le psy : ouais, c'est raccord avec l'intuition du "peuple"

Publié par undetension
Macron chez le psy : ouais, c'est raccord avec l'intuition du "peuple"

Sur le divan (endroit où il est impossible d'être "en marche") : six psychanalystes se penchent sur le moi présidentiel :

-- Comment expliquer le désamour ?

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre. "Le désamour dont Macron fait l’objet était prévisible et tient à un phénomène psychosocial. Cet homme, d’une vive intelligence et doté d’une capacité relationnelle hors du commun, que je connais depuis la commission Attali (2007), a été soulevé par une vague amoureuse qui n’avait rien de rationnel. Après les échecs de Sarkozy et Hollande, les Français, en demande de compensation, ont voulu croire à un homme providentiel. Emmanuel Macron a incarné la jeunesse, l’intelligence et la réussite insolente. Sa séduction a été rendue possible par le fait que les partis traditionnels de la gauche et de la droite lui ont ouvert la voie en n’offrant que l’image de la division. Il a bénéficié d’un coup de foudre qui, par définition, ne pouvait qu’être éphémère.

Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste. Macron provoque une obsession différente de celle que suscitait Sarkozy, qui était si caricatural qu’on lisait en lui. Avec Macron, on se demande davantage ce qu’il a dans le crâne, on a envie de savoir à qui on a affaire. C’est un personnage qui reste opaque, mystérieux. Il a gagné à partir de rien. Ces électeurs ont misé sur un joker sorti de nulle part, un deus ex machina. La fascination qu’il engendrait venait d’un pouvoir de séduction exceptionnel. Mais la fascination a ceci de particulier que quand elle se retourne on ne voit plus que l’artifice.

Ali Magoudi, psychanalyste. Emmanuel Macron est transgressif. Depuis son échappée belle, à 16 ans, pour vivre avec celle qui était sa professeure et deviendra sa femme jusqu’à sa candidature à l’élection présidentielle, tout son parcours est transgression. Mais ce rebelle se montre "en même temps" très respectueux des règles, au point d’être devenu, à l’Elysée, le protecteur de la loi. Sa personnalité est caractérisée par ce fameux "en même temps" qui n’est pas qu’un slogan politique. Aujourd’hui, ses contradictions fondamentales suscitent une incompréhension grandissante. Qui les Français ont-ils élu ? Celui qui se préoccupe du sort d’un chômeur ou celui qui, dans le même temps, lui inflige une leçon de morale ? Celui qui incarne l’ordre républicain ou celui qui a protégé les agissements d’Alexandre Benalla ?

Jean-Pierre Winter, psychanalyste. De Macron, nous ne voyons que ce qu’il laisse apparaître d’une personnalité très complexe. Son problème tient à la difficulté de tenir un discours qui soit le même pour tous. Dans les meilleures écoles, il a appris à utiliser plusieurs langages, mais tous ces registres se télescopent, et on ne sait plus où le situer. De Gaulle parlait à la France. Depuis Giscard, les présidents ont pris l’habitude de s’adresser aux Français puis seulement à des catégories de Français. En tenant un discours pour les riches et un autre pour les pauvres, Emmanuel Macron a pris le risque de devenir clivant. Fraîchement politisé, il voudrait apprendre de ses erreurs, mais tend, inconsciemment, à les reproduire.

Est-il égocentrique ?

Sophie Cadalen, psychanalyste. Après son élection, j’ai trouvé la traversée du Louvre grotesque. On avait reproché à Hollande, à Sarkozy, de ne pas endosser le costume. Là, c’était exagéré, ce pas calculé, cette grandiloquence… Toute cette énergie consacrée à démontrer qu’il occupe bien sa place. En psychanalyse, on se méfie beaucoup du moi, ce "moi" qui se martèle veut se démontrer en permanence. C’est une volonté d’existence qui s’en remet beaucoup trop au regard des autres. On est menacé par quiconque vous renvoie que vous n’êtes pas celui que vous croyez paraître. Comme la reine dans "Blanche-Neige", qui répète "je suis la plus belle". Le jour où le miroir lui dit "ce n’est pas sûr", tout s’écroule.

Roland Gori, psychanalyste. La personnalité de Macron ne m’intéresse qu’en tant que reflet de la culture et de l’éthique de notre époque. C’est une figure du narcissisme sans dette vis-à-vis des autres, sans impératif catégorique, sans surmoi, un être présent qui se définit par sa capacité à se réaliser. Macron est un autoentrepreneur de lui-même. Il ressemble au portrait d’Alcibiade vu par Lacan. Dans "le Banquet", de Platon, Alcibiade est le "meilleur", l’"homme du désir". Mais il est ignorant de ce qu’il cherche, de ce qu’il vise au travers de ses conquêtes. Il apparaît comme "celui dont les désirs ne connaissent pas de limites, il y démontre un cas très remarquable d’absence de crainte de la castration". Tel est Macron. Il a certes réussi, par son talent et sa chance, à conquérir l’Elysée. Mais pour en faire quoi ?


Est-il jupitérien ?

Jean-Pierre Winter. Il s’est fait élire sur une promesse de verticalité. Mais ça ne marche pas comme prévu. La société mute et demande plus d’horizontalité. Il en était conscient et l’avait montré pendant sa campagne. Mais sa position jupitérienne est impossible à tenir. Comment incarner les deux corps du roi ? Très tactile, Macron met en péril son autorité symbolique. Et s’il se montre impérieux, il heurte les attentes démocratiques. La royauté, ça ne marche plus. Macron se cogne au réel, il constate qu’il n’a pas les moyens économiques ou diplomatiques de sa politique. Du coup, il n’intervient plus politiquement, mais moralement en espérant susciter une adhésion globale à ses idéaux. Ce n’est pas ce que les Français attendent. Comme disait Lacan : "Le succès ou l’échec ne sont la preuve de rien."


Roland Gori. Macron se trompe et nous trompe en voulant occuper le "lieu vide" du pouvoir. Il considère que les Français n’ont pas voulu la mort du roi et qu’il lui appartient de pallier son absence comme jadis Napoléon ou de Gaulle l’ont fait. Erreur ! En démocratie, le pouvoir est à tous parce qu’il n’appartient à personne. Macron a mis le dégagisme au service d’un projet personnel et d’une politique libérale sans originalité ni valeur propre. Son autorité charismatique est par nature instable et condamnée à se "routiniser".

Est-il séducteur ?

Serge Hefez. Dans son "en même temps", il y a quelque chose de très séduisant. Ce postulat révèle la complexité de l’être humain. Nous sommes tous pétris d’"en même temps". Cette maturité précoce lui a permis de séduire des gens plus âgés que lui : sa grand-mère, ses profs et pas seulement Brigitte Trogneux, Paul Ricœur, qui est le philosophe du "en même temps"… Mais l’exercice du pouvoir exige plus de simplicité. Il s’agit de trancher, de résoudre cette complexité des choses. Macron ne parvient pas à le faire, et son comportement apparaît erratique. La crise qu’il traverse n’est pas politique mais symbolique : il n’affiche plus une identité stable.


Ali Magoudi. Comme tous les séducteurs, il a très peur de ne pas être aimé. Cela tient sans doute à sa relation à un père qui fut distant. Séducteur, il va vers l’autre. Mais, en même temps, il s’impose à lui. D’où lui vient ce sentiment de supériorité ? Certainement de sa grand-mère Manette, qui l’a aimé sans condition et pour laquelle il a voulu briller. Nous avons peu d’informations sur son enfance, mais les bribes de cette histoire familiale expliquent simultanément son empathie et son égocentrisme.


A-t-il un complexe de supériorité ?

Serge Hefez. Il est convaincu de ses qualités, de sa supériorité. Je pense que ça lui est renvoyé depuis toujours. C’est un enfant chéri, très aimé, premier de la classe. Il a ce côté un peu arrogant, il n’a pas de doute sur ses capacités, c’est pour cela qu’il est arrivé si vite. Son principal défaut, c’est cette conviction qu’il existe des premiers de cordée, de gens qui seraient supérieurs par nature. Il y a dans cette vision quelque chose qui revient à dire : on est président parce qu’on est le meilleur, et non parce qu’on représente un groupe qui vous a forgé.

Sophie Cadalen. Pendant la campagne, il a montré le désir qui l’animait, qui le tenait, ce "qui m’aime me suive". C’est toujours intéressant, quelqu’un que le désir tient, on a envie de dire bingo. Mais que veut-il réellement ? Qu’est-ce qui l’anime aujourd’hui, à part toute cette énergie investie à avoir l’air d’être ce jeune dirigeant ? Il me donne l’impression de tâtonner. Il y a ce côté un peu pédago qu’il veut avoir, l’instit de la vieille école communale. Il y a ce côté "je suis jeune et je vous emmerde" et, de temps en temps, cette volonté de se mettre des épaulettes et de rembourrer le costume. Il y a quelque chose à assouplir, il manque une cohérence à tout ça. Ce besoin d’asseoir son être induit ce complexe de supériorité. Il laisse voir une forme d’arrogance.

Est-il capable d’empathie ?

Jean-Pierre Winter. Macron a essayé de retenir ses ministres démissionnaires Nicolas Hulot et Gérard Collomb. Quant à Benalla, on voit bien qu’il n’a pas su s’en séparer quand il était encore temps. Ces attachements montrent qu’il fonctionne à l’affectif, malgré son intelligence. Ses affects limitent sa capacité à évaluer les compétences de ceux qui l’entourent, et cela lui joue des tours. Il n’a pas une connaissance intime des gens qui ne sont pas de son milieu, mais il n’hésite pas à partir à leur découverte. Il échange et il apprend.

Serge Hefez. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est la façon dont il pose son regard sur les autres. Quand il est en lien avec les autres, il est totalement présent, il ne triche pas. Il y a une présence à l’autre et à soi-même. Alors que les personnages publics ont souvent la tête ou le regard ailleurs. Aujourd’hui, Emmanuel Macron a un peu perdu cette faculté, il semble moins présent. Ses bains de foule aux Antilles avaient un côté très com, ça s’est retourné contre lui. Est-ce qu’un président de la République ne met pas en péril sa fonction en étant aussi charnel ?

Boris Cyrulnik. Sa rencontre avec un jeune sorti de prison, sur l’île de Saint-Martin, a fait jaser. Sans doute son entourage aurait dû le prévenir de ne pas prendre de photos trop familières. Mais l’attitude de Macron prouve qu’il ne souffre pas d’un prétendu "préjugé de classe". Il répond à ce jeune avec le langage de la jeunesse. S’il était arrogant, il aurait méprisé la relation.

Roland Gori. Il nous offre le spectacle de son empathie. Mais accepte-t-il réellement la présence d’autrui ? Il va à la rencontre d’interlocuteurs comme s’il s’agissait uniquement de les séduire ou de les circonvenir. Dans l’échange, il s’efforce de pulvériser les arguments de l’autre. Il se réclame du philosophe Paul Ricœur, mais ne respecte pas l’autre comme un mystère qu’il convient d’approcher avec précaution.

Est-ce un couple au pouvoir ?

Serge Hefez. Avec Brigitte, il se défie des préjugés. Il assume son couple atypique avec panache, c’est très moderne. Cela force l’admiration. Et en même temps, il y a quelque chose qui se retourne contre lui : on le voit comme l’éternel enfant, comme Peter Pan.

Roland Gori. Nul besoin de liens d’amitié, de sentiment de loyauté, de souci de vérité, de conscience de dette dans cet univers autarcique et autosuffisant, une "boussole" suffit. Il l’a trouvée dans une relation "fusionnelle", avec Brigitte.


Est-il sujet à l’hubris ?

Roland Gori. L’hubris, cette démesure qui dans le monde grec appelait la vengeance des dieux, caractérise notre époque et ces personnalités qui ne connaissent pas d’autres limites que celles de leur échec. Gérard Collomb l’a employé à bon escient en parlant de Macron.

Serge Hefez. Oui, mais il est impossible de ne pas céder à une certaine démesure : en France, le pouvoir des présidents est exorbitant, quasiment divin. Ce n’est pas un trait de sa personnalité, c’est plus une manifestation du régime monarchique.


Quel travail doit-il effectuer sur lui-même ?

Ali Magoudi. Son attitude évoque une peur inconsciente, celle que l’on peut ressentir face au choix : quelles seront les conséquences – toutes terrifiantes – de ma préférence ? Pour Macron, reconnaître qu’il traverse une crise politique équivaut à un cataclysme. Mais se réfugier dans le déni, comme il l’a fait, ne doit pas le rassurer davantage : qu’en pensent tous ceux qui le regardent ? Sa terreur est celle de l’effondrement du moi. Ce qui pose problème quand on est, comme lui, à la tête d’un Etat.

Serge Hefez. Il faudrait qu’il se recentre sur lui-même et retrouve son centre de gravité. C’est difficile à faire quand on est en mouvement, en marche, et qu’il faut en même temps retrouver un équilibre, une forme de justesse, de vérité, d’adéquation entre sa propre vérité et sa fonction. Cette conviction intérieure doit s’accommoder des lourds habits du chef de l’Etat.

Sophie Cadalen. Il faut arrêter de se penser dans cette fonction, arrêter de travailler à l’image de cette fonction, à l’autorité qu’il voudrait dégager, et plutôt raconter ce qu’il fait. Montrez-nous moins qui vous êtes et racontez-nous plus ce que vous faites. Laissez tomber un peu le personnage et racontez un peu plus l’action. Dans la démission d’Hulot, il y avait quelque chose de spontané, de sincère. C’est peut-être cette face-là qu’il faut montrer davantage. On va beaucoup mieux quand on sait un peu moins qui on est et beaucoup plus ce que l’on veut.

Roland Gori. Ce qui peut faire évoluer une personnalité narcissique, c’est la dépression. Plutôt que de surenchérir dans la provocation et de s’enfermer dans le déni, Emmanuel Macron devrait faire confiance à ce que le psychanalyste Donald Winnicott appelle la "capacité dépressive", qui permet une maturation affective. Pour se défaire des illusions qui le font souffrir, l’individu doit s’accorder un temps de repli, de tristesse et de deuil. Emmanuel Macron doit cesser de passer en permanence l’examen de l’élection pour trouver le fil d’un récit politique susceptible d’entraîner le peuple et de justifier des choix douloureux.

Boris Cyrulnik. La fin du coup de foudre électoral n’est pas forcément une catastrophe. Il lui faut tisser une autre relation, plus stable, plus durable et plus compréhensive avec les Français. Macron en a encore la possibilité car la droite et la gauche, qui se sont autodétruites, répètent les comportements qui lui ont offert le pouvoir.

Jean-Pierre Winter. Evitons de "psychologiser" à outrance notre rapport au président de la République. Les attaques ad hominem sont malsaines. D’où parlons-nous ? Et qui sommes-nous pour juger d’un homme ? Pour l’aider et nous aider à sortir du psychodrame, nous devons critiquer tout ce qui est critiquable dans sa politique. Il en a besoin."
 

Recueil d'interviews paru dans L'Obs du 11-10-2018

Macron chez le psy : ouais, c'est raccord avec l'intuition du "peuple"

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