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2009-01-29T22:04:00+01:00

la crise développe un profond sentiment d'injustice

Publié par undetension
Quelque 190 manifestations à l'appel de huit syndicats, des grèves dans les secteurs public et privé le 29 janvier : que peut faire Nicolas Sarkozy face au mouvement social ? Pour Denis Muzet, sociologue, président de l'Institut Médiascopie, il est urgent de "refonder le contrat moral et social".


Le gouvernement doit-il redouter un grand mouvement social ?


Il y a quelques semaines, je vous aurais répondu par la négative. Dans nos enquêtes, les Français apparaissaient profondément choqués par la crise mais sans désir d'en rajouter. Aujourd'hui, il y a de la colère. Et la période, pour le gouvernement, est rude : les banquiers annoncent des résultats positifs pour 2008, alors que l'Etat vient de leur accorder plus de 20 milliards d'euros de soutien. En outre, certains banquiers et industriels rechignent à jouer le jeu du donnant-donnant que veut leur imposer le gouvernement, en se crispant sur les bonus. Cela alimente dans la population un profond sentiment d'injustice qui peut déboucher sur une révolte.


Pourtant, la France, grâce à ses amortisseurs sociaux, résiste mieux que d'autres pays.


Certes, mais pour les Français cette crise n'est pas seulement économique et sociale. C'est avant tout une crise de la morale. On a oublié l'homme et privilégié le profit. Et c'est aussi une crise du sens. Le montant des sommes perdues par les banques dépasse l'entendement. L'ampleur des sommes engagées par les Etats aussi. Lorsqu'ils en parlent, les Français se trompent souvent, évoquant des millions au lieu de milliards. A leurs yeux, le monde est devenu complètement fou. Lorsqu'il n'y a plus de repères, toutes sortes de dérapage peuvent se produire.

Nicolas Sarkozy avait bien perçu le danger lorsqu'il avait fustigé, fin septembre dans son discours de Toulon, les dérives du capitalisme financier. C'était une façon d'ouvrir les yeux de ceux qui ne voulaient pas voir que le monde était en train de radicalement changer. Mais il a en même temps ouvert une séquence de dramaturgie inouïe pour se présenter comme le sauveur. La plupart des médias se sont mis à parler de la crise avec un vocabulaire anxiogène sans que le discours global s'articule autour d'un récit cohérent.


Le gouvernement a pourtant rapidement annoncé un plan de relance de 26 milliards d'euros.


Le quantitatif ne suffira pas à enrayer cette crise ! A quoi bon investir ou consommer si l'on ne sait pas où l'on va ? Dans le vide actuel, le politique doit construire un discours de sortie de crise, donner du sens et une perspective. Il peut le faire en s'appuyant sur les valeurs montantes - l'écologie, la croissance durable, la quête de solidarité - et en tenant compte de ce que disent les Français. Ils ne pensent pas que l'Etat pourra relancer la machine et pour cause : la crise a submergé les Etats, menaçant même certains de faillite. Ils le voient comme un brancardier qui va soulager les blessés mais ils n'attendent pas de lui - qui a laissé la société dériver - qu'il les sauve. Ils ont compris que les individus avaient la capacité d'agir, en consommant différemment, en baissant le chauffage ou en laissant la voiture au garage pour prendre le vélo. Encore faut-il que le politique organise cela, qu'il le canalise et ouvre une perspective.

Nicolas Sarkozy avait eu une très bonne intuition, en janvier 2008, avec le concept de politique de civilisation. Mais il n'est pas allé au bout. Et son hyperactivisme a repris le dessus. Au plus fort de la crise, lorsqu'il a agi sur le plan national, européen et mondial, cela lui a réussi. Il est parvenu à rassurer et à entraîner. Mais, depuis janvier, son comportement est devenu anxiogène: il empile les réformes, c'est une surenchère de paroles et d'initiatives, l'action se noie dans le chaos ambiant.

La politique, c'est l'art du temps et de la perspective. Au lieu d'ouvrir un horizon, M. Sarkozy continue de jouer l'instantané et de faire comme si le temps n'existait pas.


Les syndicats et l'opposition sont-ils capables de canaliser le mécontentement ?


Les syndicats remplissent bien leur fonction de catharsis, d'exaltation du sentiment de révolte mais ils ne sont pas perçus comme crédibles pour aider le pays à sortir de la crise.

Quant à l'opposition socialiste, elle croit qu'il suffit de jouer la consommation au lieu de l'investissement et de doubler les milliards du plan de relance pour tirer le pays d'affaire. La solution à ce qui est une crise sociétale n'est pas qu'économique. Il faut refonder le contrat moral et social. L'opposition souffre de la même déficience que le gouvernement. Elle s'enferme dans une vision par trop économiste et quantitative. C'est pourquoi, je n'exclus pas une crise profonde du politique.


Propos recueillis par Rémi Barroux et Françoise Fresso, article paru dans le Monde du 29-01-2009






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