un geek lucide (un comble !) : de la contre-culture à la culture dominante

Au XXè siècle, le nerd est un mot péjoratif assez vague, et désigne généralement le super intello du lycée, fort en maths et très renfermé, Désormais, on le définit très précisément comme une personne solitaire passionnée, voire obnubilée par des sujets intellectuels liés aux sciences, Cette réalité couvre des personnages de fiction ou réels aussi différents que Lisbeth Salander (l'héroïne de Millenium) et Mark Zuckerberg, le patron de Facebook,

C'est un individu brillant, très intelligent, doué en programmation, mais assez asocial, et bien sûr accro aux ordinateurs en général, et à internet en particulier,

A l'inverse du geek, mot à connotation positive et recouvrant une réalité plus large et variée, le nerd se passionne presque exclusivement pour les sciences pures, et n'a aucun intérêt pour la mode, par exemple,

Le geek lui aussi est cérébral, mais ne se coupe pas du monde, ne fait pas de complexe de supériorité, et se passionne pour des domaines moins pointus : science-fiction, jeux vidéo, jeux de rôle, nouvelles technologies,,,

Le tout petit clan californien des débuts (années 70-80) a fait « école » dans le monde entier, et des millions de jeunes aux quatre coins de la planète deviennent geeks, réunis par leur attrait pour les cultures imaginaires (fantasy, littérature de Tolkien,,,) et l'informatique,

Mais voilà maintenant qu'un des plus brillants nerds explique pourquoi la culture nerd doit mourir !

Dans son incroyable mea culpa, d'une stupéfiante lucidité, il retrace son parcours, avant de conclure :

"Nous avons gagné !

"Et c'est là que réside le problème. Nous nous comportons toujours comme les rebelles de l'Alliance [de La guerre des étoiles], alors que nous sommes devenus l'Empire. Nous en sommes arrivés là en ignorant les outsiders et en croyant en nous-mêmes alors que personne d'autre ne le faisait. Cette décennie a montré que nous avions raison et que les critiques avaient tort, et c'est ainsi que notre habitude de ne pas écouter les autres s'est profondément ancrée en nous." C'est même devenu un rituel pour attaquer ceux qui ne nous comprennent pas, insiste Pete Warden. Mais ce réflexe est désormais un problème, maintenant que les nerds exercent un pouvoir réel. "Le Gamergate [mouvement antiféministe critiquant la couverture médiatique des jeux vidéo] m'a fait honte d'être un joueur,"

Les nerds "se comportent comme des connards et notre tolérance envers notre propre comportement ne cesse de l'aggraver" (,,,). "Quand je regarde autour de moi, je vois que cette culture que nous avons bâtie comme une révolution libératrice est en passe de devenir un opérateur répressif. Nous avons construit des dispositifs magiques, mais nous ne nous soucions pas assez de protéger les gens ordinaires du préjudice qu'ils subissent à les utiliser. (...) Nous ne nous soucions pas des gens qui perdent lorsque nous perturbons le monde, seulement des gagnants, ceux qui ont tendance à beaucoup nous ressembler. (...) Notre sens profond de la victimisation est devenu une justification perverse pour l'intimidation."(,,,)

"Notre tolérance aux comportements des trous de cul doit prendre fin, mais c'est tellement partie intégrante de la culture nerd, que l'envoyer bouler est la seule façon de s'en débarrasser."

extraits d'un article du Monde du 3-01-15

Dont acte.

On peut cependant douter que cette prise de conscience individuelle de la misogynie et de l'élitisme des nerds par l'un de ses anciens piliers convainque ses anciens compagnons de route de faire eux aussi machine arrière.

Le bulldozer de la si conne valley est lancé, beaucoup de gens -les plus faibles principalement- devraient malheureusement continuer à voir leurs droits à la dignité, à l'égalité, à la démocratie broyés par ce monstre anonyme venu d'une autre galaxie...