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2016-04-22T05:00:31+02:00

"Il y a un choc frontal entre l'urgence climatique et l'idéologie de nos élites"

Publié par undetension
"Il y a un choc frontal entre l'urgence climatique et l'idéologie de nos élites"

- Il y a huit ans, dans «la Stratégie du choc», vous démontriez comment un «capitalisme du désastre» profite des grands traumatismes pour faire appliquer des réformes économiques présentées comme autant de «thérapies de choc». Avec «Tout peut changer», votre nouveau livre, en quoi la lutte contre le réchauffement climatique vous apparaît-elle comme la continuation logique de cette critique ?

- «La Stratégie du choc» analyse comment le pouvoir capitaliste exploite systématiquement les crises afin d’imposer des politiques qui enrichissent une élite restreinte en démantelant toute réglementation, en procédant à des coupes dans les dépenses sociales et en privatisant à grande échelle le secteur public. (...)
Les chocs créés par les changements climatiques vont être exploités pour créer une société toujours plus inégalitaire, en faisant main basse sur une part encore plus importante du secteur public et en s’en prenant aux droits de la majorité des citoyens. Il y aura un tout petit groupe de grands gagnants et une grande masse de perdants.
(...) La droite se sert des crises d’une manière qui rend nos sociétés encore plus vulnérables aux chocs à venir.
A rebours de cette tendance, je propose des politiques qui reposent sur un très large soutien démocratique, par exemple en investissant massivement dans des transports collectifs bon marché ou en créant à grande échelle des emplois permettant aux salariés de vivre correctement. (...)

- Le Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) , créé en 1988, a rendu son premier rapport en 1990. Depuis, les gouvernements du monde entier se sont lancés dans des négociations visant à réduire les émissions de CO2. Et pourtant, ces dernières ont augmenté de 61% depuis. Comment expliquez-vous cet échec ?
- Très simplement: le diagnostic est tombé au mauvais moment. La crise climatique a fait irruption dans le débat politique à la fin des années 1980, juste au moment où le capitalisme néolibéral criait sa victoire sur tous les toits. C’est à ce moment-là que l’on a proclamé la «fin de l’histoire» et que l’on nous a dit qu’il n’y avait «pas d’alternative», pour reprendre la formule de Margaret Thatcher. Le résultat a été un choc frontal entre l’urgence d’une politique climatique responsable et l’idéologie de nos élites.
Le pouvoir capitaliste a eu le dessus à un moment où il aurait été nécessaire d’exercer un contrôle sans précédent sur les grandes entreprises. Réglementer est devenu un anathème alors même que la réglementation était plus nécessaire que jamais. Nous sommes gouvernés par une classe d’hommes politiques qui ne savent que démanteler et affamer les institutions publiques, quand il aurait fallu renforcer et réinventer ces dernières. Et nous nous sommes retrouvés avec un système d’accords de «libre-échange» qui lient les mains de nos dirigeants alors qu’ils ont au contraire besoin d’une liberté d’action maximale afin de mener à bien le chantier massif de la transition énergétique.
Cette victoire du capitalisme a aussi fait que l’essentiel de la mouvance écologiste s’est rapidement résolue à travailler dans les limites du cadre idéologique du néolibéralisme et de la déréglementation imposée par le capitalisme. On a perdu des décennies précieuses à essayer de promouvoir des solutions induites par les marchés comme le commerce des droits d’émission de carbone.

- Vous écrivez que notre système économique est désormais en guerre contre notre système planétaire. La lutte contre le réchauffement climatique serait-elle la lutte finale ?
- Le dilemme est bien connu: d’un côté, afin d’éviter le dérèglement de notre climat, nous devons réduire notre usage des ressources naturelles ; de l’autre, s’il ne veut pas s’effondrer, notre modèle économique exige une croissance sans limites. Il n’y a qu’un seul de ces paramètres qui puisse changer, et ce ne sera pas la nature. (...)
Nous savons comment le système économique actuel va «s’adapter» au chaos climatique: il commence déjà à le faire. Le monde capitaliste va chercher à faire main basse sur les ressources naturelles avec toujours plus d’avidité et de violence. Les terres cultivables d’Afrique vont être réquisitionnées afin de fournir de la nourriture et du carburant aux nations riches, ce qui conduira à un nouveau mode de pillage néocolonialiste.
Plutôt que de reconnaître que nous avons une responsabilité envers les immigrés qui fuient leurs pays à cause de nos actes – ou de notre inaction – nos gouvernements vont bâtir des forteresses high-tech et adopter des lois anti-immigration toujours plus draconiennes. Et, au nom de la «sécurité nationale», nous allons intervenir dans des conflits ayant pour objet le contrôle de l’eau, du pétrole et des terres cultivables – quand nous ne provoquerons pas ces conflits nous-mêmes. 
Il est nécessaire de garder présent à l’esprit qu’en n’agissant pas contre le réchauffement climatique, nous n’allons pas simplement assister à une hausse des températures mais aussi des inégalités et des conflits. Un avenir marqué par le chaos climatique est un avenir rempli de violence. Voilà pourquoi nous ne pouvons absolument pas nous permettre de perdre cette bataille. (...)

- Vous dites que ce qui vous rend optimiste face au défi du changement climatique, c’est que, lors de la crise financière de 2008, nous avons été témoins de l’injection de milliards de dollars dans le système bancaire afin de le sauver. N’est-ce pas paradoxal?
- Ce n’est pas cela en soi qui me rend optimiste: je pense par contre que nous vivons à une époque où la plupart de mensonges qui sont au cœur de notre système politique et économique ont été percés à jour et exposés sur la place publique. Nous avons tous vu comment des milliards de dollars ont été trouvés au nom du salut des banques, et nous savons désormais qu’il est possible de réaliser la même chose afin de sauver la planète. C’est juste la volonté politique qui fait défaut.
Nous avions déjà fait le même constat après les attaques terroristes du 11-Septembre: quand il s’est agi de mettre en place une sécurité intérieure fondée sur la surveillance et de faire la guerre à l’étranger, beaucoup de pays occidentaux n’ont eu aucun souci budgétaire.
Bien sûr, la différence est que ces transferts de ressources profitaient aux riches et aux puissants ; tandis que le mouvement pour la justice climatique exige des transferts de moyens qui profitent à tous. (...)

"Il y a un choc frontal entre l'urgence climatique et l'idéologie de nos élites"

extraits d'une interview de Naomi Klein, journaliste et militante altermondialiste, parue dans l'Obs du 19-03-2015

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