Tristesse interdite : une des nombreuses promesses non tenues de la modernité

Professeur à Polytechnique, et philosophe pragmatique soucieux du bien-être immédiat de tous, Michael Foessel montre dans son dernier ouvrage que nous vivons le « temps de la consolation », c’est-à-dire un temps marqué par la perte des modèles communautaires, rationnels et amoureux qui justifiaient l’existence face au pire. Tenant une réflexion sur certaines promesses non tenues de la modernité, Foessel déplore que le chagrin soit réduit à un simple mauvais moment à passer, une sorte de maladie honteuse qu'il conviendrait de soigner de toute urgence ; Ceci expliquerait pourquoi l'Etat déploierait des cellules psychologiques à chaque drame, comme s'il fallait absolument empêcher les gens de s'installer dans le temps de la perte.

De même , relève-t-il dans l'expression « travail de deuil » l'écho d'une vision utilitariste de la psyché humaine, à qui l'on pourrait commander d'apaiser sa souffrance comme on missionne un consultant pour traiter un dossier, avec délais et objectifs à tenir. « L'injonction au deuil participe du rejet des comportements improductifs, au premier desquels la tristesse », constate-t-il.

Foessel dénonce une conception du monde en trompe l'oeil qui voudrait qu'il existe des solutions techniques pour tous les problèmes. Dans la Silicon valley, on parle de problem solving, et la même idéologie « solutionniste » circule dans les associations de psychiatres ou les administrations. Tout régler par une application, un anxiolytique, une procédure administrative, voilà où nous porte l'air du temps.